Ascension et chute d’un ambitieux dans le monde moderne

 

Film de 1975 du maître « Kubrick », Barry Lyndon est avant tout connu pour son esthétisme, sa musique, ses lumières et ses décors naturels. Mais l’ascension sociale de Redmond Barry, gentilhomme irlandais déclassé du XVIIIe siècle, est aussi une belle représentation de la figure humaine de l’homme moderne « qui en veut » avec toutes ces contradictions, son ambivalence et sa complexité. 

  • Un film humain sur l’envie de se réaliser

Barry Lyndon est avant tout un film humain sur le monde moderne. Redmond Barry est un homme comme tant d’autres : Il est ce qu’on appelle un anti héros. Comme beaucoup d’ambitieux parti de rien et voulant arriver à tout, il ose tout, sans état d’âme. Il a peu à perdre. Stanley Kubrick y dresse un portrait de l’ambition, dans toute sa fraicheur d’abord puis dans toute sa complexité.  

Il démontre l’ascension sociale du héros, dévoré d’ambition, qui arrive à s’arracher à sa condition à force d’intrigues pour se hisser au sommet de l’aristocratie anglaise. Et pourtant Barry Lyndon n’est pas non plus un monstre sans foi ni loi aux dents longues, ni un homme particulièrement « méchant ». Son sens de la morale est simplement tout à fait relatif. Il veut simplement « arriver » quelque part.  

Le film tire toute sa puissance de son universalité. Nous éprouvons pour son héros un mélange d’attirance et de répulsion car le personnage condense beaucoup des travers de la nature humaine : Résilient et faible, opportuniste et pugnace, brave et lâche, volontaire et velléitaire…  

On peut y voir un parallèle intéressant avec Napoléon dont Kubrick a longtemps eu le projet de faire un film (projet auquel il a dû renoncer) : Barry comme Bonaparte sont deux hommes partis de rien, qui connurent une ascension par la grâce de la guerre, de la ruse et de l’ambition pour se hisser au sommet avant de connaître une chute brutale et une fin solitaire.

 

  • Opportunisme, jeu de hasard et jeu social

Comme dans beaucoup d’ascensions professionnelles contemporaines, Barry porte un masque. Il ne fait que se déguiser, s’adapter, porter des costumes tout au long de sa vie pour se faire passer pour un autre. Egocentrique, arriviste, opportuniste, mais tout autant charmant et joueur, si Barry Lyndon est un homme de son époque, il pourrait tout aussi bien être un homme du 21è siècle, désireux de réussir.

On voit bien, d’ailleurs, dans la première partie du film un mouvement perpétuel quand l’homme tente de s’arracher à sa condition. Barry y est plein d’énergie, porté par l’envie de réussir. Il avance. Cependant une fois arrivé à la condition convoitée, ce mouvement s’éteint. Barry s’ennuie et se ternit dans cette noblesse en bout de course (la révolution française n’est pas loin). Il fait l’apprentissage du cynisme et les choix auxquels il devra faire face précipiteront sa chute et le ramèneront d’où il vient.

Barry a perdu de vue que dans l’ascension sociale, on n’est jamais vraiment arrivé : il faut continuer à s’adapter sans arrêt à un monde qui n’est pas le sien et ne jamais tomber le masque. 

 

  • La violence, code nécessaire à l’élévation sociale

Barry en épousant la belle Lady Lyndon et en accédant à ce statut social espéré – celui de l’aristocratie – se mesure aussi à la violence plus policée des rapports sociaux et des relations humaines régies par l’argent et la « position » : La violence qu’il doit exercer pour s’élever mais aussi celle plus cachée à laquelle il doit faire face de ceux qu’il croise et ne peuvent supporter son statut d’arriviste arrivé.

Redmond Barry chute par l’usage de la violence à un moment où le code social l’interdit : Il tombe à côté. Et de la même manière dans le duel final, il tombe à côté en voulant (par bonté d’âme soudain ?) épargner son adversaire qui lui ne l’épargnera pas…

On peut y voir cependant un portrait final plutôt positif du héros qui, pour s’élever vers une position dont il a été trop vite déchu, n’use finalement que de moyens nécessaires, en jouant le jeu social.

Pour Stanley Kubrick la violence est nécessaire à l’Homme dans la Société et la refuser, c’est se condamner mais en faire usage quand le code social l’interdit, c’est également précipiter sa chute. Le refus de la violence comme son utilisation irraisonnée mène l’Homme à sa perte et à la fin tout le monde perd, comme le conclut la voix off : « bon ou mauvais, riches ou pauvres, beaux ou laids, ils sont égaux maintenant. »

 

  • L’ambition comme réalisation de soi

Mais sortons de l’esprit mélodramatique de ce film qui en fait pourtant toute la saveur : l’ambition peut s’envisager sous un angle plus positif.

Barry Lyndon aurait pu se poser la question de l’objectif de son ambition : Est-ce de devenir riche, beau, intelligent, reconnu et admiré de tous, d’avoir la fille ? Ou simplement de se réaliser pour trouver en chemin qui il est.

Une autre question peut se poser alors : Qu’est-ce que je cherche à atteindre au-delà de cette ambition et de quoi mon ambition est-elle le moyen dans mon projet de vie global ?

Une question que Barry n’a pas su se poser ; lui dont l’ambition a finalement cruellement manqué de souffle…

 

 

Claire Laugier Breton

Claire Laugier Breton

Spécialiste des Ressources Humaines et de la Communication

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