Les Temps Modernes ou l’éloge du mouton noir
Notre cerveau est imprégné d’images qui forgent notre mémoire collective. Celle d’un petit moustachu, pris dans les rouages d’une énorme machine fait partie de ces images : Celle de Charlot, double satirique de Charlie Chaplin dans les Temps modernes.
Ce film universel de 1936 – le dernier film muet de Chaplin – garde une pertinence et une actualité intense dans notre monde professionnel du 21ème siècle.
Qu’il ne s’agisse plus majoritairement d’usine, ni de travail à la chaîne, nous ne sommes pas si éloignés aujourd’hui des tâches répétitives dans lesquelles Charlot semblent se perdre : Les reporting, les call center et l’organisation en silo dont on ne saisit que rarement la finalité ou l’impact, nous posent de plus en plus la question du sens.
Les temps modernes est un film qui réfléchit à la condition de l’Homme au travail et il traverse les âges…
La première scène du film est éloquente de symbolisme : On y voit un troupeau de moutons blancs et en parallèle des ouvriers entrant à l’usine, où seul Charlot est charbonné de noir. L’homme en noir est le symbole du mouton noir, celui qui se questionne sur sa condition, son individualité et qui veut sortir du troupeau.
L’usine, quant à elle, y est le symbole de la perte du contrôle de l’homme sur les objets qu’il crée.
Ici, ouvriers et directeurs sont tous victimes du même système. Les ouvriers souffrent dans la tâche annihilante et les directeurs souffrent du stress du rendement et prennent de « petites pilules » pour garder leur calme.
Ces images ne trouvent-t-elles pas une incroyable résonance avec notre rapport moderne au travail et à l’impact de l’intelligence artificielle ?
Le travail rend-il malade ?
S’il est question dans ce film de Fordisme et de Taylorisme, c’est-à-dire de tâches effectuées à la chaîne, il y a encore aujourd’hui des enseignements à tirer du génie et du pouvoir critique de Chaplin : Dans le film, le travail déshumanisé rend Charlot littéralement malade !
Le mouton noir cherche alors à s’en sortir, mais la panne générale qu’il provoque s’avère pire : interné puis chômeur, il finit par se faire arrêter. C’est finalement en prison qu’il se sentira paradoxalement le plus « au chaud »…. pour un temps. Si le film est une satire de la grande dépression des années 1930, il reste d’une actualité brulante : Il y est question de la dignité de l’homme, broyé par la compétitivité, la productivité et les intérêts supérieurs, mais aussi injustement condamné sur les apparences.
Une concurrence tendue à outrance, des entreprises ou des industries plus préoccupées par leur rendement que par leur capital humain, une peur constante de perdre son travail, une capacité à accepter plus qu’il n’est raisonnable ne rend-elle pas malade, encore aujourd’hui. Ici comme en 1930, tout est affaire de circonstance. Des circonstances que l’homme paye souvent de sa liberté.
Digitalisation Tayloriste du travail
Derrière la machine, il y a toujours un homme, comme à l’usine, et c’est encore le cas aujourd’hui à l’ère de la digitalisation : Comme son sens étymologique l’indique il s’agit toujours d’un homme qui travaille avec son doigt (digital). C’est bien encore l’homme qui est derrière la digitalisation, et encore l’homme qui perd le contrôle sur les objets qu’il crée.
L’exemple le plus troublant en ce moment sont ces « fermes ou usines à click » en Asie, qui se transforment en véritable industrie. Des hommes et des femmes sont payés à clicker de faux « like » sur des téléphones connectés en réseau, sur des sites pour leur donner de la visibilité. A quelques centimes le click, ne sommes nous pas encore dans un travail à la chaîne comme chez Charlie Chaplin : Une même industrialisation et une même annihilation de l’Homme par l’Homme à l’ère du numérique.
Point de salut au travail me direz-vous ? Il s’agit plutôt à chacun de questionner sa place et sa vision du bonheur.
Chaplin clôt son film sur une belle leçon de vie : Aimer et être libre est la réponse que l’Homme peut encore choisir. Le bonheur y est précaire certes, la vie d’artiste fragile, mais au moins cette vie de mouton noir ne rend pas malade et ouvre le champ d’une donnée encore chère à l’Homme :
Sa propre créativité…
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Claire Laugier Breton
Spécialiste des Ressources Humaines et de la Communication